Fin 2007, Carol Bernier me propose de collaborer avec elle pour un projet artistique. Après une première rencontre, nous convenons que ce chemin que nous ouvrons constituera pour chacune un espace d’exploration, plus encore de «jeu» à travers la matière qui nous est moins familière, soit l’écriture pour Carol, et le travail visuel pour moi.

Notre projet, plutôt que d’aboutir au livre d’artiste traditionnel, nous le souhaitons sous le mode de l’échange constant, de telle sorte que l’œuvre finie consistera en une exposition d’objets papiers, textes, boîtes, qui témoignera non seulement du dialogue et de l’incursion de chacune dans la matière de l’autre, mais aussi du processus de création lui-même.

2008: Carol m’envoie par la poste des objets auxquels je fais écho en lui retournant à mon tour des textes qui, quelque temps après, me reviennent, transformés par la matière et l’univers de Carol. Le projet est en marche.
Mais bientôt un événement personnel survient dans ma vie, de telle sorte que notre dialogue est interrompu.

2009: en mars, Carol présente, à la Galerie Simon Blais, une exposition intitulée Les mots d’Hélène, série d’œuvres créées à partir de sa lecture de mes textes.

2009: j’écris L’Étreinte des vents, récit d’une rupture amoureuse et réflexion sur les liens, l’amour, le désir, l’impermanence des choses, la transformation à laquelle nous sommes invités, les recommencements toujours possibles, la vie à célébrer à travers ses mouvements les plus ténus.

2010: Carol, invitée à exposer au Centre d’exposition de Val-David dans le cadre de la semaine consacrée à mon travail, choisit de dialoguer avec L’Étreinte des vents.

Au cours de l’une de nos conversations, elle me dira: «j’ai fait émerger la lumière à partir du noir».
Et je répondrai: «tu nous rappelles ainsi qu’il n’y a jamais de noir pur, de noir duquel ne pourrait surgir la lumière, et c’est exactement ce que j’ai cherché à dire dans L’Étreinte des vents… La force de la lumière, de la vie, vient de l’obscurité qui la fait exister.»

De mon côté, j’ai rouvert les cartons, les tubes de peinture et de vernis, j’ai troqué la table d’écriture pour la table à dessin; je n’hésite pas, je n’hésite plus, j’entre dans la matière de Carol qui me devient un espace neuf pour plonger en moi-même autrement, et c’est ce que je découvre ici: une matière – une manière – de création qui m’est non seulement un regard mais un angle de vision singulier qui me révèle ce que je ne peux percevoir qu’à partir de lui.
À ma grande surprise, je trouve donc là le prolongement exact de L’Étreinte des vents: une façon d’aller vers ce qu’on ne sait pas de soi-même et de l’autre, de rester dans une ouverture, cette sorte de disponibilité qui ne cesse de maintenir en mouvement – et même en vie – puisqu’en constante transformation.

Jeudi 10 février 2011. Autour de moi, les tables sont jonchées d’objets: boîtes de cartons, tubes d’acrylique et de colle, pastels, crayons Sharpies, plumes, pinceaux, papiers sont étalés ça et là; autant de formes et de couleurs que je rassemble comme on tâtonne dans le noir pour trouver une éclaircie. Le sens surgit sans que je l’aie cherché. Il n’y a dans ce que je crée ici aucune prétention artistique, simplement, j’explore, comme le projet de Correspondances avec Carol m’y invite, un autre mode d’expression. Bien sûr les mots sont là, au creux de mes mains, et ils trouvent naturellement à s’intégrer à ce que j’appelle mes objets de papier. Mais pour moi l’essentiel est ailleurs: je cherche plutôt à être au regard cette fois – plutôt qu’à l’écoute –, disponible pour ce qui ne peut se dire autrement que dans ce “carré de sable”. Il y a là du sens, oui, par ce geste, je transforme ce qui n’avait encore pu l’être par les mots.

Et je me sens comme une enfant. C’était le coeur, l’âme de notre projet: “nous serons comme des enfants qui jouent par terre avec leurs papiers, leurs crayons de couleur…” C’est exactement ainsi que je me sens aujourd’hui.

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En 2014 Carol et moi ferons paraître Nous ne sommes pas seules…, ouvrage dans lequel sont reproduits ces artéfacts, et qui offre à lire nos échanges courriels.

 Hélène Dorion