À propos du livre

Genre

Roman

Parution

2014

Éditeur

Druide

Le mot de l’éditeur

Imprégné d’une réflexion émouvante sur l’existence humaine, ce livre magnifique nous invite à reconsidérer le regard que nous portons sur les points de retournements qui jalonnent notre vie.

Presse

« La vie, avec ses multiples compartiments, se trouve interpellée ici. Le présent sera fait de quelques certitudes venues sur le tard et d’une somme d’inquiétudes quasi intraduisibles qui constitue la personnalité profonde de la poète. Qu’elle nous parle du père, de la mère, des auteurs aimés, la poésie d’Hélène Dorion n’aura jamais été aussi incarnée, aussi présente au quotidien, aux humains qui lui ont inspiré la passion, à tous ces êtres qui ont envahi son imaginaire, provoquant chez elle un insatiable besoin d’harmonie et de joie. […] Portée par la profondeur et la simplicité, la quête intérieure d’Hélène Dorion se poursuit, plus ample et plus souveraine que jamais.»
– Isabelle Beaulieu, Lettres Québécoises

« Hélène Dorion parvient ici à enchâsser l’objet d’une quête personnelle, qu’elle poursuit inlassablement depuis de nombreuses années, dans une forme narrative tout à la fois libre et inventive qui lui permet d’en rendre compte, dont le résultat témoigne intrinsèquement de l’indissociabilité de cette même quête. En refermant ce livre, on sait déjà qu’on le rangera à portée de main pour en reprendre la lecture, pour découvrir et explorer de nouvelles directions au fur et à mesure que nous déployons notre propre fil d’Ariane. »
– JEan-PAUL BEAUMIER, NUIT BLANCHE

« Prose et poésie sont deux pièces d’une maison pour l’écrivaine qui continue ainsi de se construire, de se renouveler. Hélène Dorion flotte. Ni loin ni au-dessus de nous mais tout autour. Elle nous chuchote qu’elle fait le voyage vers soi. »
– MARIO CLOUTIER, LA PRESSE

LIENS

Châtelaine – juillet 2015

Nuit blanche – hiver 2015

Lettres québécoises – hiver 2014

La Presse – avril 2014

Le Devoir – mars 2014

Le Soleil – avril 2014

Le Journal de Québec – avril 2014

Les Incontournables d’ICI Radio-Canada – mai 2016

Les Libraires – juin 2017

Extraits

Au bout des ombres

La maison où j’habitais, le lac, la forêt ; à force de chercher à la retenir, j’ai perdu cette vie que j’avais figée en une figure parfaite dont chaque élément demeurait immobile, engendrant, croyais-je, un équilibre indestructible. Je voulais être délivrée de mes peurs, mais j’étais habitée par la plus puissante : perdre ce qui m’était le plus cher, voir s’effriter cette parfaite ordonnance qu’était devenue ma vie.

Je pensais alors à ces moines tibétains qui élaborent patiemment de complexes mandalas de sable coloré et qui, une fois la figure achevée, regardent le vent l’emporter en un rituel qui évoque l’impermanence des choses. Année après année, quelques grains de sable à la fois, j’avais lentement édifié la figure absolument cohérente de ce qu’est une vie. Tout y était : dans la vaste maison, amour, famille et amis autour de la table, un jardin de fleurs et d’arbres hauts, et au bord du lac des rochers solidement amarrés pour dire l’histoire qu’on habite, accomplir l’image exemplaire de l’existence.

Et un jour la vie a soufflé sur ce mandala qui m’était si précieux. Brusquement, elle m’a jetée dans le courant de l’éphémère. Le fil de l’amour s’est rompu. Médusée, je ne pouvais aller vers l’avant ni revenir en arrière.

Cet être que j’aimais plus que tout s’était évaporé. Il aurait pu mourir, cela n’aurait été pire. Il aurait pu partir sans déchirer tout le passé, cela n’aurait été mieux. Rien de pire, rien de mieux ; du côté où je ne l’attendais pas, la vie m’a précipitée dans le vide.

Comme à l’instant de la mort, j’aurais voulu étreindre une derrière fois son corps, prendre son visage entre mes mains, poser ma bouche et respirer pour emporter avec moi l’odeur des cheveux, de la peau, j’aurais voulu dire l’amour, une dernière fois, tout l’amour au-delà de la douleur et des regrets, pardonner les blessures infligées, demander pardon et à mon tour me pardonner mes failles et manquements, retourner à la cime, voir la splendeur du commencement et refaire une dernière fois le trajet de l’histoire, remonter le cours des souvenirs, les passer au tamis du cœur et tenir entre mes mains la magnificence de cet amour. J’aurais voulu… J’aurais aimé… Mais déjà nos vies, nos mondes séparés s’en allaient chacun sur un nouveau chemin.

À l’instant même de la cassure, j’ai su que ma vie, ce mandala que j’avais cherché à tenir à l’abri des vents, venait de se désagréger. Le sable recueilli patiemment au fil des jours, des milliers de jours d’amour, avait volé en poussière. Le meilleur de ma vie, ai-je alors pensé, était désormais derrière moi.

J’étais projetée au milieu de ce vide que l’on redoute tant, que l’on fuit comme l’orage, comme le mal ou la mort. Car on ne veut pas du chemin qui appelle à descendre à l’intérieur de soi, qui nous désarme et ravive nos doutes. On aspire au ciel intact, mais on se dérobe aux grands vents qui balaieront les nuages. Surtout, on s’esquive devant ce lieu si fragile où l’on sera face au pire de soi, on tourne le dos à ce qui nous demandera de nous transformer. On préfère tout changer autour de soi plutôt que de renouveler un seul aspect de son être. Mais ce que nous fuyons nous rattrape forcément, car c’est la seule chose dont nous avons alors réellement besoin.

J’habitais une maison qui surplombait le lac. Exposée aux vents, elle paraissait immense, enclavée entre deux presqu’îles. Quelques bouleaux fragilisés les bordaient, délimitant la rive. Les formes de cette maison étaient complexes, depuis les corniches enchâssées les unes dans les autres jusqu’aux paliers multiples de la terrasse qui se rejoignaient de façon plutôt singulière. Les couleurs de la façade étaient sobres, suffisamment bien agencées pour ne pas avaler la beauté lumineuse du paysage. Étonnamment, même si la maison était orientée au sud, les pièces étaient plutôt sombres. Elle avait été construite et aménagée en plein hiver de verglas, très rapidement.

La maison comptait de nombreuses pièces qui s’étaient peu à peu chargées de meubles et d’objets de toutes sortes, au fil des années passées à accumuler de plus en plus le moins que nécessaire…

Plusieurs accès rejoignaient le jardin essentiellement composé d’îlots de pierres où l’on pouvait s’installer et avoir vue sur le lac et l’horizon de montagnes qui l’entouraient. Du côté gauche du jardin, des pins élancés créaient une sorte de paravent entre le lac et la maison, tandis que l’autre rive, totalement découverte, s’offrait sans retenue aux regards de ceux qui naviguaient paisiblement, tournés vers la maison qui surgissait entre les deux presqu’îles.

À chacun des trois étages, des fenêtres couvraient la largeur de la maison. Une vaste terrasse la reliait à un pavillon transformé en lieu de travail. Un chêne qui, l’année durant, conservait ses feuilles amples, surplombait le bâtiment et semblait veiller sur lui comme un sage. Chaque mur des quatre pièces du pavillon était couvert de bibliothèques. Des livres, des milliers de livres se disputaient les rayons et dessinaient un tableau racontant à sa manière l’histoire d’une vie.

Dans la maison, peu importe où l’on était, le lac attirait le regard. Ainsi pouvait-on voir venir l’orage. L’été, l’eau commençait par se froisser sous le vent léger, on voyait l’écume s’accumuler sur le sable, et le clapotis bientôt se transformait en une houle plus marquée. Des vagues se formaient, rapidement hautes, elles déferlaient et venaient s’écraser sur la rive. À l’horizon, un rideau opaque de pluie surgissait, traçant une ligne nette, et à mesure qu’ils se rapprochaient de la maison, les vents gagnaient en intensité, secouaient violemment les arbres, forçant les bouleaux à s’incliner.

L’hiver, c’est la tempête que l’on guettait. Elle arrivait fréquemment sans avertir. En quelques minutes, la neige légère se changeait en une épaisse étoffe blanche qui obstruait complètement la vue. Mais même si l’on épie ses mouvements, le plus souvent, on ne voit pas venir l’orage ; même si l’on cherche à la deviner, on ne sent pas la tempête qui va casser les fenêtres.

Alors un jour la vie souffle sur cette figure parfaitement ordonnée, sur ces grains que l’on a patiemment agencés pour se mettre à l’abri.

Se souvenir, en espagnol recordar, vient du latin re-cordis, qui signifie « repasser par le cœur ». Tandis que je revois chaque pièce de la maison, la mémoire se déplie, les souvenirs s’ouvrent comme les bourgeons de printemps répandent le vert tendre des feuilles légères sur l’horizon, raniment cette histoire qui cherche à atteindre le cœur pour qu’il ne reste pas que la douleur sur les murs et des ombres qui jonchent le sol, mais aussi la joie lumineuse de cet amour, nos âmes plongées dans l’étreinte des heures, nos vies se renversant et tombant l’une dans l’autre – ce fut cela, le bonheur, dès le premier jour, nos regards s’accordant à la lune pleine, nous savions le mouvement des ans qui nous porteraient jusqu’à la cime.

Quelque chose de magnifique s’est passé dans mon existence, et son souvenir soudain se met à respirer en moi. Il s’éclaire lentement, puis se pose sur la surface du lac qui reflète la beauté de ce visage que j’ai tant aimé, celle de l’histoire qui a eu lieu. Les événements ondulent légèrement, se défont peu à peu du noir qui les déguisait en souffrance toujours vive, et l’amour resurgit en moi, intact, celui-là même qui ne meurt pas quand tout bascule.

Quelque chose de magnifique s’est passé, que je redonne à mon cœur qui peut désormais le conserver comme une semence qui fera éclore, de nouveau, la grâce et l’émerveillement de l’amour.

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