04 Nov Sous l’arche du temps

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GENRE

Essai

ANNÉES DE PARUTION

2003-2005-2013

ÉDITEURS

Leméac, Montréal (2003)
La Différence, Paris (2005)
Typo (2013) – Édition augmentée

RÉSUMÉ

Notre temps est sombre et froid. Y règne la démesure de la finance et de la technique, sans âme ni conscience, qui soumet la vie, non seulement humaine, à sa logique mortifère et cannibale. Le terrible cri de la Terre et des pauvres n’est cependant pas entendu, enterré sous la fanfare triomphale du progrès. La parole d’Hélène Dorion est à cet égard précieuse, car elle jette un pont entre la poésie et la détresse de notre temps, et répond à l’urgence d’un nouveau rapport au monde, harmonieux, solidaire, fraternel.

Hélène Dorion apparaît ainsi clairement comme une artiste résolument engagée chez qui une révolte paisible et tenace pousse à brandir ses armes de prédilection : amour, beauté, humanité.
Essentielle en ces temps de soubresauts d’indignation et de révolte, cherchant à rompre enfin avec le désengagement et la somnolence normalisés. Elle rappelle l’œuvre et le rôle des artistes. Ces résistants du regard. Qui donnent à entrevoir la profondeur du monde, la part invisible ravalée, qui chantent la beauté du monde défigurée.

Voilà son engagement nécessaire de poète, et l’essai l’atteste à merveille qui révèle la résistance subversive propre à l’artiste, au poète. L’art est un grain de sable dans l’engrenage sourd d’une société technicisée à outrance. Il nous apprend à ne pas se courber devant les idoles et le diktat de la religion capitaliste – sans rêves ni répit – et son culte d’un réel quantitatif, dépourvu de sens, inapte au sens : chantier où s’affairent les bulldozers des savoir-faire et des boursicoteurs qui aplatissent le monde pour y ériger l’ennui. Au milieu se tient le poète, l’écrivain, l’artiste, en prophète proférant la voix qui traverse la sienne, provenant d’au-delà d’elle-même – un souffle dont il perçoit l’urgence, la beauté, la nécessité. Se tenant contre le simulacre, il nous fait éprouver le monde, commun à tous, et revendique la nécessité de l’inutile. Il ramène le péril au cœur de la vie et maintient en tension le fil de l’existence par où, funambules, nous avons à marcher au-dessus de l’abîme.

Cette vérité, Hélène Dorion semble l’avoir éprouvée dans sa chair, comme une brûlure, une soif brûlante, un vertige. Y rester fidèle, elle ne sait que cela. Rester en éveil. Restituer le mystère, le pouvoir du rêve. Secouer les fondations du tel quel, l’indolence de l’âme, l’apathie du cœur. Faire ressentir la sensation d’exister, d’habiter cette terre fragilisée. Faire de nous des veilleurs du monde, des gardiens d’humanité, dans notre coin de planète qui nous est imparti.
Poète joyeuse, enracinée dans son sol, dans sa langue, dans son corps : racines de l’universel.
En fin de compte, Hélène Dorion s’adresse à notre fragilité. Celle que nous ne voulons pas voir, ressentir, vivre et qui pourtant nous ouvre à la vie. Celle qui est masquée sous l’épaisseur des images de puissance, de contrôle, de rentabilité. Elle le fait en nous restituant, par sa poésie, la fragilité de la vie quotidienne – ses sensations, ses odeurs, ses couleurs, ses sons. Et en nous offrant le bonheur de soupçonner, sous les mots, le battement du cœur de la Terre, à l’unisson du nôtre, qui transfigure l’existence en chant.

Extrait de la présentation de Jean-Claude Ravet, Rédacteur en chef de la revue Relations.

EXTRAIT

Célébrations du vivant 

« Tout ce qui est en bas est comme ce qui est en haut, et ce qui est en haut est comme ce qui est en bas, pour accomplir les miracles d’une seule chose. » Par ces mots qui ouvrent la Table d’émeraude, Hermès Trismégiste souligne l’importance primordiale des correspondances complémentaires dans le processus alchimique. C’est bien à la figure symbolique de l’alchimiste que me renvoie le scientifique moderne, démiurge qui plonge son regard tantôt dans l’obscurité du plus grand, et tantôt dans celle du plus petit. Par la lunette du télescope ou la lentille du microscope, l’astronome, le physicien, le biologiste cherchent non seulement à pénétrer l’invisible, mais aussi à devenir les maîtres d’œuvre de cette prima materia qu’Aristote incitait déjà à manipuler pour en modifier la composition élémentaire, et ainsi transmuter ses qualités fondamentales.

Par de mystérieuses combinaisons, la science actuelle s’est donné le pouvoir et les moyens de manipuler le vivant. Par là, elle semble vouloir nous extirper d’un monde en chaos, mettre en place un nouvel ordre qui changerait radicalement celui déjà existant. Plus encore, on chercherait à nous protéger d’une loterie génétique souvent cruelle, à nous redonner l’or potable, élixir de jouvence qui nous ferait dépasser les limites du temps et, ultimement, atteindre le secret de la vie, puisse-t-elle ainsi être enfin éternelle.

 

Le 20 juillet 1969, mes yeux d’enfant regardaient avec fascination le premier homme marcher sur la Lune. Au milieu de la noirceur qui me paraissait infinie, quelqu’un a dit : « Un petit pas pour l’homme, un grand pas pour l’humanité ! » Et tout a soudain grandi, et basculé en moi : la Terre, le Ciel, et ce mot qui semblait contenir la réalité entière : humanité. J’étais l’un des innombrables maillons de cette chaîne faite de tous les hommes de tous les temps. Je n’étais qu’un instant dans la spirale, un fragment d’une figure sans cesse inachevée. Et de cette nébuleuse intérieure allait surgir une interrogation que je transporterais avec moi, comme chaque être humain, une vie durant : qui suis-je ? Question en mouvement, s’il en est, et que l’existence même transformerait à mesure. Car à côté de l’identité individuelle et singulière se tenait forcément celle de l’espèce. Qui sommes-nous ? Quelle figure traçons-nous dans la lentille d’un microscope, quelle mystérieuse substance circule dans notre corps, assurant aux générations à la fois la stabilité et la transformation à travers les temps géologiques et historiques ? Et comment donc définir cette humanité que nous portons si confusément, pareille à un bagage dont on sentirait la présence sans que le contenu nous soit jamais révélé ?

À n’en pas douter, nous sommes à un moment crucial de l’histoire humaine qui nous confronte à notre vision de nous-mêmes en tant qu’espèce et force à revisiter nombre des valeurs sur lesquelles nos vies et nos sociétés se sont construites. En écho à la vaste question de Schrödinger – qu’est-ce que la vie ?–, la science actuelle répond par l’expansion rapide et quasi sauvage d’une industrie biotechnologique fondée davantage sur la propriété privée que sur le bien public. À une vitesse extraordinaire se sont succédées les informations et découvertes majeures, si bien qu’elles précèdent parfois le rêve qui devrait les faire naître. En outre, les questions soulevées à mesure paraissent souvent trop complexes et déterminantes pour susciter les réponses pourtant nécessaires à la poursuite de ces avancées technologiques si spectaculaires et hautement médiatisées qui provoquent autant d’enthousiasme émerveillé que de visions catastrophistes.

Entre les gemmules de Darwin, le plasma germinatif de Weismann, les lois de l’hérédité de Mendel et l’achèvement prochain du projet de la séquence du génome humain s’insèrent d’un côté les prophéties alarmistes de Théodore Kaczynski, et de l’autre, la boutade de Walter Gilbert tirant de sa poche un disque compact en disant : « Voici un être humain ! » Mais les questions que posent les biotechnologies à la société et qui surgissent au centre de ces deux pôles n’ont guère de place. Transgénèse, clonage, robotique : pour d’aucuns, le divin scientifique est maintenant devenu maléfique et créateur d’un futur qui, selon la formule de Bill Joy, « n’a pas besoin de nous ». Pour d’autres, nous avons pétri le levain du vivant et nous sommes faits forgerons pour maîtriser le feu secret et parfaire une matière inachevée.

 

Après avoir inventé des mythes pour surmonter ses peurs, l’être humain est entré dans la fabrique de la nature pour d’abord l’utiliser, l’adapter à ses désirs, puis la manipuler. Après avoir pu se détruire, l’être humain peut désormais se créer lui-même. Quel espace peut-il être fait ici à la poésie ? Quel espace pour un petit édifice de langage qui n’a de cesse de réinventer l’aventure de la vie, d’interroger le sens de notre présence et de porter plus loin notre vision de nous-mêmes ?

Si les avancées biotechniques peuvent contribuer à rendre effectives certaines possibilités du vivant, elles menacent aussi, sans nul doute, d’éliminer des éléments qui, bien qu’ils ne puissent la définir, cernent une part essentielle de ce que l’on entend par nature et condition humaines. Aurions-nous éliminé le pauvre, l’informe et l’indésirable, serions-nous délivrés du hasard et de l’inconnu, nous n’aurions alors devant nous qu’un paysage non paradisiaque mais plat, uniforme et dépourvu des aspérités dont se nourrit le singulier.

Et je me surprends soudain à imaginer que la science regarde par les yeux du poème pour y voir apparaître les sens neufs créés par la rencontre souvent fortuite des mots, et qu’à son tour elle étreigne le présent.

À la poésie nous pourrions ainsi confier la tâche de nous rappeler sans cesse la fécondité des hasards nécessaires, et de nous restituer le péril des images d’un monde dont nous faisons irrémédiablement partie. Le poème, par sa capacité toujours renouvelée de représentation, par le travail alchimique des mots qui nous engagent sur les chemins éclairés du sens, pourrait devenir un lieu où résonne l’inconnu et où se réfléchissent des nouvelles visions de nous-mêmes. De l’infiniment grand à l’infiniment petit, le poème ne cesse de recueillir des liens.

Des milliers d’années après que l’Homme eut, pour la première fois, levé les yeux vers la noirceur de l’Univers, et quelques dizaines d’années après avoir vu le premier homme marcher sur la Lune, je porte le choc d’images qui ne cessent de renouveler en moi le sens même du passage et de cette aventure qu’est la vie. Parce qu’il y a l’art pour célébrer le vivant, parce qu’il y a la littérature, – parce qu’il y a la poésie – je ne suis pas réduite au silence, ni confinée à l’impuissance. Contre l’oreille jamais tout à fait sourde de notre monde, les mots font entendre le battement du sang qui les traverse.

 

PRESSE

«  Qui aime la poésie d’Hélène Dorion appréciera cet essai, Sous l’arche du temps, car il poursuit sans véritable rupture le questionnement philosophique, politique et humain au cœur des textes poétiques. Le lecteur y trouvera aussi ce désir de transparence, cette absence d’ironie qui caractérise l’œuvre de la poète. »

– Judy Quinn, Nuit Blanche

ARTICLES DE PRESSE

Epok – novembre 2005
Europe – janvier-février 2006
Nuit Blanche – avril 2015